Le 7 mai 1994 , près du récif de Tetembia, au large de la presqu’île de Uitoe, une équipe de la Télévision Éducative de Nouvelle Calédonie tourne un film à caractère pédagogique sur la présence américaine pendant la Guerre du Pacifique. Ce jour-là, le chantier archéologique sous-marin organisé par Fortunes de Mer au même endroit, n’est qu’un prétexte pour obtenir des images de  l’épave d’un avion ensablé à faible profondeur, dans des conditions idéales de visibilité.

Une suceuse hydraulique permet d’aspirer les sédiments accumulés dans le cockpit; l’excavation laisse apparaître les nombreux cadrans et commutateurs du tableau de bord ainsi que les leviers de commande. Cette épave, connue de rares pêcheurs sous-marins, fut redécouverte il y a quatre ans par Jean-Michel Leguéré qui collabore aujourd’hui à ce travail de désensablage.

L’appareil se présente incliné sur la gauche. Jean-Paul Mugnier, spécialiste des enquêtes sur les accidents aéronautiques, l’identifie avec certitude:  il s’agit d’un chasseur BELL P 39 K AIRACOBRA propulsé par un moteur Allison de 1 00 CV. La cloche de l’hélice, traversée par un canon de 37 mm, est cabossée; deux des pales sont pliées à 90°, témoins d’un contact violent. Sur l’avant du tableau de bord, le fût d’une des deux Colt Browning, mitrailleuses de 12.7, est en parfait état, son chargeur rempli de balles. Si on ajoute les quatre mitrailleuses de 7.62, on imagine que l’appareil représentait une force de feu impressionnante pour l’époque.

A moins de 200 mètres de là, sur le grand récif, gît l’épave disloquée du vapeur Saint Antoine échoué en 1928, qui servait de cible pendant la guerre du Pacifique pour l’entraînement des pilotes de chasse et de bombardements. Le crash serait-il consécutif à un exercice de ce genre ?

Le pilote oublié

Du fond de l’habitacle, Jean-Pierre Folliard dégage de nombreux morceaux de tôles, de tuyaux et des coraux, par l’ouverture de la portière gauche. Il met à jour aussi un tibia et une calotte crânienne. Stupéfaction: le pilote était resté à l’intérieur! Nous continuons à fouiller, à rassembler les nombreux ossements. Nous découvrons deux semelles de bottes de grande pointure portant la date 1936, une paire de lunettes, un gilet de sauvetage, un écouteur et une montre encore munie de la moitié du bracelet de cuir.

Hélas, aucune plaque matricule n’est retrouvée. Nous regroupons l’ensemble des reliques du pilote dans un filet que nous plaçons sous son siège, puis nous ré-ensablons le cockpit. Nous nous recueillons pendant une longue et poignante minute avant de refaire surface.

Nous déclarons notre découverte à la gendarmerie la plus proche. Les démarches sont engagées par Alain Christnacht délégué du Gouvernement qui contacte Mme Floyd, première secrétaire à l’ambassade des Etats-Unis aux Iles Fidji.

Opération AIRACOBRA

Deux mois plus tard, une mission américaine débarque en provenance d’Hawaii: le Capitaine Marshall Nathanson et son équipe, dont un médecin anthropologue et un photographe du Laboratoire Central d’Identification de l’armée américaine. Ils sont chargés de la recherche des MIA ( Missing In Action ) à travers le monde.

La mission de récupération des restes du pilote, coordonnée par Raymond Proner  prend dès lors le nom officiel d’OPERATION AIRACOBRA. Le Haut-Commissaire met à notre disposition l’îlot Leprédour pour installer notre camp de base, la Marine Nationale fournit des hommes et du  matériel; la Gendarmerie Nationale, sa vedette et son équipage complètent le dispositif.

Sur le site, nous récupérons les reliques et continuons d’aspirer pour vider totalement le cockpit. Les sédiments sont soigneusement tamisés, nous trouvons ¼ et ½ dollar. Nous dégageons un demi-maxillaire dont deux des dents sont plombées. Cette pièce sera capitale pour l’identification qui se poursuivra à l’aide des fiches anthropométriques. Un sac de relevage nous permet de déplacer le moteur et de récupérer sa plaque d’identification. Le nom du pilote ne sera révélé qu'après deux contre-expertises, afin de ne laisser aucune place à l’erreur.

Le 13 Juillet 1994, en hommage au pilote inconnu, le Général Delhomme, Commandant Supérieur des FANC, préside une cérémonie sobre et émouvante en présence des autorités militaires, de la mission américaine, des membres de FDMC et TVE-NC. Après une prière et une sonnerie aux morts, le cercueil recouvert du drapeau des USA s’est envolé pour Hawaï.

Porté disparu

En août 1994, le CIL d’Hawaï nous communiquait l’identité du pilote et le récit des faits : «  Le 28 novembre 1942, le premier Lieutenant Howard W. Hulbert  (né le 11 juillet 1920), décolle de la base de la Tontouta pour effectuer une mission d’entraînement de bombardement en piqué à bord d’un chasseur P 39 Airacobra (CAVU GP – 39 k – 1 – BE  airplane – SN  42-4371) à proximité de l’épave du vapeur Saint Antoine  échoué sur le récif de Tetembia. Alors qu’il amorçait un piqué, il commença à descendre en vrille et toucha l’eau violemment. Les recherches entreprises ne permirent pas de le retrouver . »

Les funérailles nationales organisées au cimetière d’Arlington par le gouvernement des Etats-Unis en présence de la famille Hulbert, furent grandioses. Depuis la fin du second conflit mondial, les autorités militaires américaines ont recensé 79 000 soldats portés disparus. De 1990 à 1995, seules 51 victimes ont été retrouvées.

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