En débarquant à Nouméa en 1975, Raymond Proner constate qu’ils sont peu nombreux en Nouvelle-Calédonie à connaître l’histoire des nombreuses épaves dont certaines émergent sur l’immense récif enserrant la Grande Terre. En réunissant les talents et les connaissances d’autres passionnés, il fonde l’association Fortunes de Mer Calédoniennes et entreprend l’inventaire de l’héritage maritime du Caillou.

En décembre 1831, la goélette Madeira Packet s’échouait sur un récif au nord des îles Chesterfield, ouvrant la longue liste des naufrages connus. A cette époque, le trafic maritime commençait timidement à s’organiser. Les équipages des goélettes, des trois-mâts et plus tard des grands minéraliers à voiles payèrent un lourd tribu dans cette histoire maritime. La tragédie majeure fut celle du trois-mâts Grimenza qui transportait des travailleurs asiatiques. En 1850, il s’échoue sur un des récifs Bampton et 650 passagers meurent d’épuisement. Plus récemment, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1953, la disparition énigmatique entre Maré et le sud de la Grande Terre du MS La Monique , faisant 126 victimes, demeure une histoire sensible et douloureuse dans la mémoire calédonienne. Sa recherche par FMC, fait partie des projets en cours.
Découvrir une épave.

En Nouvelle-Calédonie, la grande majorité des navires naufragés se sont échoués sur le Grand Récif. Rapidement, l’action mécanique et permanente des vagues déferlantes, détruit et disperse le bâtiment. Heureusement, quelques marins survivent à ces catastrophes. Leur précieux témoignage, consigné, aide à l’identification et à la localisation du naufrage. Comme pour une enquête policière, si les informations collectées paraissent sérieuses et laissent penser que « la cible »  est accessible, compte tenu des moyens de détection à mettre en oeuvre, de la profondeur estimée possible et de l’éloignement géographique raisonnable du sinistre, alors toutes les énergies sont mobilisées pour retrouver l’épave.

Tout commence donc par un travail à terre. Les vieux journaux locaux publiés à partir de 1859 sont aussi attentivement déchiffrés ainsi que les minutes de procès maritimes, le Lloyd’s Register, les archives locales, nationales ou privées à Paris, en province et même à l’étranger. Aujourd’hui FMC possède d’exceptionnelles archives qui racontent l’histoire de plus de 270 naufrages de 1831 à nos jours et permettent d’identifier formellement 56 épaves.

C’est le 21 septembre 1984 que l’association découvrit son premier navire : le clipper anglais Maitland naufragé en 1874 contre le platier de l’îlot Fabre aux récifs d’Entrecasteaux. La recherche la plus difficile fut celle du quatre-mâts barque Emile Renouf. Il disparut en 1900 avec sa cargaison de 3 388 tonnes de nickel et 176 tonnes de cobalt en sacs. Sa découverte, bien méritée, eut lieu en 1989 à la quatrième tentative. Il gisait à six mètres de profondeur sur le bord du récif Durand, véritable « tête d’épingle » en pleine mer, au sud-est de l’île de Maré.

La séquence émotion, survint fortuitement en août 1994, au court d’un chantier sous-marin à faible profondeur, sur l’épave d’un chasseur américain de type P 39 Airacobra. L’opération était un prétexte pour tourner un film sur la présence américaine pendant la Guerre du Pacifique, il y a 50 ans. En aspirant les sédiments accumulés au fond du cockpit, les plongeurs trouvèrent les restes du pilote et son équipement. Howard W. Hulbert, âgé de 22 ans, fut identifié par les autorités américaines. Le 28 novembre 1942, à la suite d’une mission d’entraînement de bombardement en piqué sur l’épave du vapeur Saint-Antoine échouée depuis 1928 sur le récif de Tetembia, le jeune lieutenant percuta à pleine vitesse la surface du lagon. Des funérailles nationales furent organisées pour sa dépouille au cimetière militaire d’Arlington à Washington en présence de sa famille.

Retrouvé en 1998, le trois-mâts barque Tacite représente le gisement archéologique le plus intéressant par son importance et la qualité de sa préservation. Depuis 1873, l’épave repose  par 30 mètres de profondeur, dans la passe de Mato. En 2006, le trois-mâts carré Ville de Saint-Nazaire est la découverte la plus récente de l’association. Naufragé en 1904, ce minéralier à voiles s’est brisé en deux morceaux et gît à 40 mètres de profondeur dans les eaux limpides de  la passe de Kouakoué.

Fortunes de Mer Calédoniennes a repéré, à ce jour, vingt trois épaves. Toutes font l’objet d’une déclaration aux affaires maritimes. Après cet inventaire minutieux, les reliques mises au jour sont confiées au personnel qualifié du laboratoire du Musée de l’Histoire Maritime de Nouvelle-Calédonie à Nouméa. Elles subissent immédiatement un traitement pour leur conservation et sont ensuite restaurées puis stockées en vue de leur future exposition au public.
Un musée pour une histoire maritime aux antipodes

Crée en 1999, à l’initiative des associations Salomon et Fortunes de Mer Calédoniennes, le Musée de l’Histoire Maritime de Nouvelle-Calédonie, est une structure associative. Cet espace dédié à l’histoire maritime de l’archipel calédonien et à l’une des plus grandes expéditions maritimes dans le Pacifique au XVIIIème siècle, décline sept thèmes dans l’ordre chronologique, de l’arrivée des premiers navigateurs océaniens à la Guerre du Pacifique.

L’histoire maritime moderne de l’archipel débute en 1774, lorsque le célèbre capitaine James Cook à bord du HMS Resolution, débarque au nord-est de la Grande Terre. La Pérouse lui succède et disparaît tragiquement à Vanikoro. Le visiteur pourra apprécier une partie de l’extraordinaire collection d’objets récoltés sur les épaves de L’Astrolabe et La Boussole au cours de sept campagnes de fouilles , organisées par l’association Salomon .

Au début du XIXème siècle, les navires baleiniers furent les premiers à fréquenter le Pacifique Sud. En 1842, la découverte du précieux bois de santal à l’Ile des Pins et aux Iles Loyauté entraîne les premières relations « commerciales » avec les populations autochtones. Les vestiges remontés sur l’épave de la corvette La Seine, coulée dans la passe de Pouebo en 1846, illustrent la période précoloniale.

Après la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie en 1853 au nom de l’Empereur Napoléon III, Tardy de Montravel choisit les baies de Nouméa pour y développer le chef lieu de la nouvelle colonie. Au musée, la transportation pénale débute en 1864 ; elle est illustrée par une très réaliste cellule de « bateau cage ». L’absence de réseau routier sur la Grande Terre, impose le service du Tour de Côte par petits vapeurs et le cabotage par goélettes pour ravitailler les Loyauté. L’exposition d’objets trouvés à bord des épaves du Tacite (1872), du John Higginson (1882) et de l’Ambroua (1888), informe le visiteur sur les réalités de la vie quotidienne de cette époque.

A partir de 1874, de nombreux grands voiliers quittent l’Europe pour la Nouvelle-Calédonie via le cap de Bonne Espérance sans escale, en utilisant les vents portants des latitudes sud. Ils chargent les minerais de cobalt, de chrome et surtout de nickel puis effectuent le voyage retour par le cap Horn. Cette circumnavigation durait environ six mois. La destination Nouvelle-Calédonie, fut dénommée par les capitaines au long cours « Le tombeau des Grands Voiliers ».  Par un hasard extraordinaire, les deux plus grands navires à voiles au commerce jamais construits au monde reposent dans le lagon de la Grande Terre. Le premier en bois, le quatre-mâts barque Roanoke (106 m hors tout), est lancé le 22 août 1892 à Bath dans l’état du Maine au USA. Le 9 août 1905, il coule au mouillage de la baie de Néhoué, à la suite d’un incendie, avec toute sa cargaison de chrome. Le second en fer, le mythique cinq-mâts barque France II (136 m hors tout) est lancé à Bordeaux le 9 novembre 1911; il double dix fois le Cap Horn avant de s’échouer le 7 décembre 1922 sur l’extérieur du récif de Teremba. Sa disparition sonnera le glas de l’épopée des Grands Voiliers de la « Route du Nickel. »

L’immense safran restauré du Roanoke, exposé verticalement au centre du musée, donne une parfaite idée du gigantisme des minéraliers à voiles. A voir également, remarquablement reconstituée par les élèves du lycée professionnel Petro Attiti, la double barre à roue du trois-mâts carré Haudaudine, naufragé en 1905 à l’extérieur du récif Contrariété.  Le 12 mars 1942, débarquent à Nouméa les forces américaines en guerre contre le Japon. Les alliés utiliseront la Grande Terre comme un véritable porte-avions jusqu’à la fin du conflit. Le visiteur aura la sensation de survoler à bord d’un C 47, les rades de Nouméa qui servirent de mouillages pour la maintenance de principales grosses unités navales.

Texte et photos : Pierre Larue

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