Le Lakatoï était un caboteur de 340 tonnes, construit en 1938 pour la compagnie Australienne Burns, Philp and Co. Après une brève exploitation commerciale essentiellement aux Iles Salomon et en Papouasie, il est lancé dans la tourmente de Guadalcanal par la Marine des Etats Unis en août 1942 et sombra rapidement dès sa première mission, par mer forte. Sur les 29 naufragés, 28 réussirent à regagner la côte Nord Est de la Nouvelle-Calédonie au bout de 12 jours d’épreuves. Ce fait, à porter à la gloire de son équipage, est très peu connu. Par exemple pour beaucoup de Calédoniens, l’épave du Lakatoï repose sur le récif Toombo, non loin du Phare Amédée, ce qui est erroné: Le naufrage du véritable Lakatoï at eu lieu à près de 350 km du Nord de la Nouvelle Calédonie. En fait il s’agit en fait de l’épave du patrouilleur auxiliaire YP-422, l’ex chalutier Mist, échoué en mai 1943 sur le récif Toombo.

Rappel du contexte historique

Un court rappel du contexte historique de cette période charnière de la guerre du Pacifique permet de mieux comprendre la tragédie qui a frappé le Lakatoï. Après leur attaque surprise de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, les Japonais ont déferlé sur les iles du Pacifique occidental à partir des îles Carolines, Marshall et Mariannes. Les objectifs de la ruée Japonaise dans le Pacifique Sud était d’emménager un périmètre défensif contre les Alliés, de s’emparer des matières premières indispensables à la conduite d’une guerre éclair, dont le Japon ne disposait pas, en particulier le pétrole des Indes Néerlandaises. Il voulait supprimer les menaces que faisaient peser l’Australie et la Nouvelle-Zélande en poursuivant leur progression sur les Nouvelles-Hébrides, l’actuel Vanuatu, les Fidji, Tonga et bien sûr la Nouvelle-Calédonie, coupant ainsi leurs dessertes maritimes et aériennes vitales depuis les Etats-Unis via Hawaï, à travers l’immense océan Pacifique.

Dès mai 1942, les Japonais s’étaient installés dans de nombreuses îles de l’archipel des Salomon, administré par les Australiens et construisaient un aérodrome au Nord de l’île de Guadalcanal et le 6 août sa piste était quasiment terminée. Pour le Haut Commandement Allié la reprise aux Japonais de Guadalcanal et de son aérodrome était d’importance stratégique : Le 7 août 1942, débuta la première opération amphibie Américaine, avec le débarquement de près de 11000 hommes de l’infanterie de Marine Américaine, les Marines, transportés par une forte flotte de guerre. Dès le lendemain la riposte Japonaise a été vigoureuse et un gros transport de combat, le George F. Elliott, a été attaqué par un bimoteur torpilleur de la Marine Impériale qui, touché, s’écrasa sur le navire qu’il incendia et coula. Une grande partie des 29 hommes de l’équipage Lakatoï, provient de ces rescapés.

En fait, dans la nuit du 8 au 9 août, une des plus grandes défaites de la Marine des Etats Unis a lieu à la bataille de Savo : En un peu plus d’une demi-heure les Américains perdent trois croiseurs lourds, et les Australiens un quatrième. Le bilan humain est aussi désastreux, environ 1000 morts et plus de 700 blessés. Devant la vigueur de cette attaque et craignant pour le reste de la flotte Alliée, l’ordre est donné à tous  les navires de guerre et aux transports d’évacuer sans tarder Guadalcanal et de se retirer sur Nouméa, la base arrière. La division de Marines retranchée autour de l’aéroport de Guadalcanal se sent d’autant plus abandonnée qu’ils ne leur reste que des munitions pour quatre jours de combats intenses et des vivres pour un peu plus d’un mois.

La courte épopée du Lakatoï

Devant ce problème de logistique, le Commandement des Forces Américaines engage ce qui pouvait flotter pour leur amener du ravitaillement, les petits bateaux s’avérant moins précieux que les lourds cargos plus utiles au transport de troupes et de matériels de combat. Le Lakatoï était présent à Nouméa depuis mai, acquis à Sydney par l’armée américaine. Il avait été mis à l’eau en 1938 à Hong- Kong pour la compagnie Australienne Burns, Philp and Co Ltd., pour du cabotage entre la Mélanésie et un peu le Sud-Est Asiatique. Cédé par l’Armée, la Marine l’a commissionné le 15 août 1942. Après quelques travaux d’adaptation à son utilisation militaire, dont l’équipement de deux radeaux de sauvetage en caoutchouc supplémentaires, le capitaine de corvette James I. McPherson, en a pris le commandement ; il était auparavant sur le navire de transport USS George F. Elliott et il a tenu à choisir l’équipage du Lakatoï parmi les survivants de ce transport, coulé une semaine auparavant au large de Guadalcanal. Après le chargement de 150 tonnes de nourriture, complété par l’embarquement de munitions, le Lakatoï quitte le 18 août 1942 le port de Nouméa pour Guadalcanal et Tulagi, à une vitesse moyenne de 9 nœuds, seul et sans escorte et la cargaison bien arrimée.

Le naufrage du Lakatoï

Les conditions atmosphériques s’aggravant rapidement, il rencontre une mer très agitée avec une forte houle. Le 22 août à midi la mer emporte l'embarcation de sauvetage bâbord et à 13h05, un grand fracas annonce l’imminence d’une catastrophe : Le Lakatoï a immédiatement pris une gite de 40º à bâbord et a continué de rouler sur ce bord. Ayant stoppé les moteurs, McPherson ordonna l’abandon du navire. En moins de deux minutes, le Lakatoï chavire et coule à la position 19 °00' Sud et 167 °40' Est, à environ 350 km à l’Est Nord Est de la pointe Nord de la Nouvelle-Calédonie. L'embarcation de sauvetage tribord, dont les amarres avaient été volontairement coupées alors que le navire commençait à couler, flotte librement et l’ensemble des 29 hommes trouvent refuge, soit sur ce canot de 6 m, soit sur les deux radeaux gonflables, les trois embarcations étant reliées ensemble.

Le début de leur naufrage a été très éprouvant en raison d’une mer prenant l’allure de montagnes. Les hommes du Lakatoï s’alimentent grâce aux rations ainsi qu’à l’eau potable embarquées. Un des radeaux en caoutchouc se retourne, mais est redressé sans encombre. Malgré la présence de beaucoup de requins et de poissons, aucun n’a pu être attrapé. Le 24 août, deux bombardiers ont été vus au loin. Les naufragés ont bien essayé de distiller de l'eau de mer pour combler leur soif croissante en utilisant le condenseur du lot de bord sur le canot, mais cet équipement ayant pris feu a presque détruit la voile qu’ils utilisaient dorénavant, le vent ayant faibli, aidés de leurs rames pour maintenir une route au SO.

Le 28 août, ils ont entendu le grondement des moteurs d’un avion mais en dépit de leurs efforts pour être vus, il disparut sans repérer les naufragés. Malheureusement l’opérateur radio meurt d'épuisement le 31 août et est immergé en mer. Deux heures après cette triste cérémonie, ils aperçoivent une terre droit devant, un événement chaudement salué.

Le salut

Ils atterrissent en fin de compte à Amos, sur la côte Nord-Est de la Nouvelle-Calédonie, le 2 septembre à 10h30, alors qu’il ne leur restait presque plus de vivres et que leurs embarcations étaient très fatiguées. Le Commandant a chargé des rescapés encore valides d'essayer de trouver des noix de coco ou de l’eau. Finalement ils ont obtenu le secours d’un Calédonien, M. Léon Dubois accompagné d’autres personnes. Son fils et un marin se dirigèrent à cheval vers le poste de patrouille côtière situé à une cinquantaine de kilomètres. Ils ont tous été amenés en Jeep à l'hôpital de campagne de Koumac où ils ont été traités comme des rois, puis ils ont été transférés à l'hôpital de l'Armée à Nouméa où ils ont encore été fêtés et remis sur pieds avant de pouvoir regagner pour la plupart les Etats-Unis par bateau.

La reconnaissance de la Nation

Le Commandant James I. McPherson et cinq autres marins valeureux ont reçu la médaille de la Marine et du corps des Marines pour leur courage pendant cette épreuve de 12 jours, lors d’une cérémonie le 23 octobre 1942 où le Vice-amiral William F. Halsey, Jr salua l’équipage du Lakatoï comme ayant « …affiché un courage et un héroïsme en accord avec les meilleures traditions du Service Naval des Etats-Unis. »

L’épave de Toombo ou la confusion entre deux navires proches

En fait, longtemps l’épave échouée sur le récif Toombo, a été appelée le Lakatoï. Il s’agit en fait d’une autre épave Américaine, celle du Mist, un chalutier hauturier en acier de la même classe que le Lakatoï construit aux Etats-Unis en 1941 et qui a été commissionné le 28 juillet 1942 par La Marine Américaine comme patrouilleur auxiliaire, l’YP-422. Son premier Commandant a été le controversé fondateur de la secte de Scientologie, Lafayette Ron Hubbard, rapidement évincé car jugé inapte au commandement.  Arrivé en Nouvelle-Calédonie début 1943, il s’échoua le 23 avril 1943 et n’a pu être retiré de son cercueil de corail malgré des efforts importants ; ce qui montre combien la Marine Américaine plaçait d’espoirs dans ces précieux auxiliaires souvent venus de la pêche, tous venant du civil souvent avec leur équipage, tels certains utilisés en Nouvelle-Calédonie, comme, le Lakatoï, l’YP-422, l’YP-239 ou encore l’Evaleeta.

Jean-Paul Mugnier

Le 15 janvier 1883, Le Cher, navire à voiles et à vapeur de la Marine Nationale commandé par le lieutenant de vaisseau Laffont, est affecté en Nouvelle-Calédonie pour y effectuer un travail hydrographique et le transport de troupe. En janvier 1885, il doit convoyer 250 condamnés de la transportation, de Balade à l’Ile Nou. Il n’arrivera jamais à destination.

Le naufrage

Jeudi 9 janvier 1885 à 9 heures Le Cher, transport de guerre de 63 mètres pour 1673 tonneaux sort du lagon par la passe de Uitoé. Cap sur l’extrême nord de la Grande Terre. Vers 19 heures, toutes voiles dehors, il longe par l’ouest, l’extérieur du grand récif Contrariété. Il doit passer à 2 milles au large de la pointe dangereuse du cap Goulvain. Ce jour- là, à cet endroit, des courants d’une extrême violence entraînent inexorablement le navire contre la barrière corallienne. Le Commandant tente de lofer puis ordonne d’abattre la voilure. Trop tard, le navire talonne et s’immobilise.

L’équipage cargue les voiles et met à l’eau une première embarcation de sauvetage. Une énorme vague déferlante la retourne avec les sept hommes à bord. Ils prennent pied sur le platier du récif. Ils sont récupérés plus tard par une chaloupe et réussissent à regagner le bord pendant la nuit. Sur le navire le trouble est grand. Le roulis est effroyable. Le grand mât tombe sur tribord. Les marins coupent les haubans qui retiennent le mât de misaine, celui-ci s’abat sur bâbord avec un fracas épouvantable. Le Cher commence à couler en s’inclinant sur bâbord. En l’absence de mâts, l’équipage manque de points de levage. Les marins sabordent le côté bâbord pour faire glisser une autre chaloupe qui permet de transporter des vivres, de l’eau et une partie des rescapés sur l’îlot Contrariété, situé à l’intérieur du lagon à deux milles de l’épave.

Vers quatre heures du matin, pour alerter les secours pouvant venir du littoral, le commandant fait tirer des coups de canon. Ils seront entendus par le colon Newland. Après une nuit d’angoisse le débarquement des hommes commence enfin sur l’îlot Contrariété. A neuf heures le pilote major Fabre quitte à son tour le navire à bord d’un youyou. A treize heures il donne une dépêche du commandant aux autorités stationnées à Poya. La nouvelle du désastre parvient à Nouméa seulement le lundi matin à dix heures. Dans la nuit de dimanche à lundi le bâtiment se brise en deux sous les coups de boutoir de la houle. C’est vers neuf heures du matin que les 115 membres de l’équipage, torturés par la soif et la faim aperçoivent enfin à l’horizon Le Bruat et Le Loyalty venus pour les sauver. Le mardi, les deux bâtiments reviennent vers la capitale avec tous les naufragés à leur bord. Ce n’est que mercredi 14 janvier vers 14 heures que les deux navires entrent enfin en rade de Nouméa.

Le 12 avril Le Commandant et tous ses officiers passent en Conseil de Guerre à Toulon. Le lieutenant de vaisseau Laffont est acquitté à l’unanimité et félicité pour sa conduite exemplaire pendant le drame, cette reconnaissance entraînant automatiquement l’acquittement de l’ensemble de l’équipage. La maquette du Cher est exposée en permanence au Musée National de la Marine à Paris.

Sauvetage d'un patrimoine maritime

Quelques années après son naufrage, l’épave du Cher se trouvait matérialisée par une énorme chaudière, visible à l’intérieur du récif, à une centaine de mètres du point d’impact et par trois ancres monumentales posées à plat sur le platier. Elles sont encore aujourd’hui facilement accessibles à marée basse.

En 1967, l’équipage du patrouilleur La Lorientaise participa à une courte mission d’investigation sur Le Cher. Une pièce d’artillerie en fonte d’une tonne fut remontée par les plongeurs.

En 1985, les membres de l’association Fortunes de Mer Calédoniennes, à partir de la station de Beaupré, visitent l’épave et remontent quelques reliques. Une découverte surprenante : le plomb de poitrine d’un équipement de scaphandrier à l’ancienne laisse penser qu’une tentative de récupération aurait pu être organisée après le sinistre par une équipe de « pieds lourds ».

En février 2007, FMC organise une seconde expédition de deux semaines. La famille Metzdorf met aimablement à la disposition de l’association la logistique de leur campement situé au bord de mer. Trois petits bateaux permettent de rejoindre le site du Cher en empruntant la passe de Poya, puis en longeant l’extérieur du grand récif Contrariété en moins d’une heure de navigation. La météo matinale nous permet de plonger chaque jour, sans trop redouter la houle du large.

Nous avons placé une grosse bouée au bout d’une chaîne manillée sur une gigantesque pièce métallique cubique reposant à 15 mètres de profondeur. Nous pouvons y fixer une embarcation à l’abri de la ligne redoutable des vagues déferlantes. Dès l’immersion dans une eau cristalline, nous repérons deux failles bien distinctes, perpendiculaires au récif barrière. Depuis le naufrage, elles ont collecté l’ensemble du mobilier archéologique, poussé par les fréquentes tempêtes de l’été austral. Dans l’une nous trouvons un des six canons en fonte de 14, un corps de pompe en bronze, de nombreuses vannes et quelques tuyaux. Dans l’autre gît le safran monumental constitué par un cadre en bronze caractéristique, partiellement bétonné par le substrat corallien. Ses aiguillots bien visibles lui permettaient un mouvement directionnel commandé par la barre, agissant sur l’appareil à gouverner.

Cette pièce exceptionnelle d’architecture navale du 19ème siècle mériterait que nous la remontions pour la restaurer puis l’exposer dans le Musée de l’histoire Maritime à Nouméa. En s’approchant au début du tombant, nous identifions un cabestan et l’appareil à gouverner complètement phagocytés par les coraux encroûtants. Dans les déferlantes, un canon et une ancre gisent immobilisés depuis des lustres. Nous cartographions et photographions l’ensemble du gisement. Nous remonterons, pour stockage au musée, quelques pièces en bronze : une vanne et deux fémelots. Affaire à suivre pour une future opération technique et lourde : la remontée du safran du Cher.

Le 26 juin 1875, l'Isabella, navire charbonnier quitte Newcastel en Nouvelle Galles du Sud en direction de Hong Kong. Il a dix-sept passagers chinois à son bord et seize hommes d'équipage sous les ordres du capitaine Smith.

Le naufrage

C'est à la suite d'une grave erreur de navigation que, le 3 juillet 1875, par grosse mer, le navire heurte le récif aux Chesterfields. Il s'échoue puis coule dans la nuit aux abords de l'îlot Passage. Après la perte d'un canot lors des opérations de sauvetage, l'équipage réussit à se sauver dans la dernière embarcation abandonnant les chinois. Sept d'entre eux parviennent à rejoindre l'îlot du passage. L'équipage regagne l'îlot Avon puis tente de gagner l'Australie en laissant sur place  six marins.

Après douze jours d'une effroyable traversée, les dix hommes sont secourus par la goélette Curambene et débarqués à Bowen le 16 juillet 1875. Aucune opération de secours ne fût organisée à partir de l'Australie vers les Chesterfield. Seule l'information du naufrage fût donnée dans les ports.

Six mois plus tard, sur des îlots éloignés l’un de l’autre, quatre hommes d'équipage et quatre chinois survivaient encore lorsqu'ils furent secourus par la goélette anglaise Laura Lind. Ils avaient survécu, mangeant des coquillages, des œufs et des oiseaux de mer, et buvant l'eau de pluie accumulée dans les cavités rocheuses

La découverte

En avril 2000, profitant d'une mission de surveillance du patrouilleur La Glorieuse dans l'archipel des Chesterfield, quatre plongeurs de Fortunes de Mer ont embarqué pour une prospection à la recherche de l'Isabella. Après avoir épluché les archives de l'époque, une zone est localisée aux abords de l'îlot du Passage. La mer est belle, c'est exceptionnel par ici!

Vers le sud s'étend une bande de récifs desquels émergent quelques bancs de sable. C'est par-là qu'en 1875 le charbonnier a fait naufrage. Malgré deux tentatives de recherche, l'épave n'a jamais été retrouvée. Vers le lieu présumé une bouée est mouillée. Deux Zodiac remorquent chacun un plongeur et s'efforcent d’effectuer des radiales. Opération couronnée de succès en quelques heures : par 6 mètres de fond, les ancres de l'Isabella apparaissent enfin.

Plongée émouvante sur ces vestiges. La chaîne est concrétionnée et l'on retrouve de nombreux tirants en bronze. Dans une vasque de sable, des verres brisés, des petits flacons de parfum, un florin en argent. Le charbon de la cargaison qui s'est mêlé au corail, nous rappelle sa mission première.

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A la fin du siècle dernier, le gouvernement français adopte une loi destinée à encourager le commerce maritime à voiles qui commence à souffrir de la concurrence des navires à vapeur. Il alloue aux armateurs des primes à la construction et également à la navigation,  proportionnelles à la distance couverte par les navires.

La destination la plus lucrative se trouve évidemment aux antipodes: la Nouvelle-Calédonie. La route du nickel est la dernière partition jouée par les grands voiliers au commerce du pays. Le 2 février 1900, l'Emile Renouf, sous le pavillon des armateurs havrais Cicero Brown et Édouard Corblet, appareille de la rade de Thio sur la côte est de la grande terre calédonienne. Il emporte dans  ses cales 3388 tonnes de minerai de nickel et 176 tonnes de cobalt en sac, destination: Glasgow.

Le naufrage

Le 6 février 1900 à 19 heures 10, l’Émile Renouf heurte violemment un récif, se déséchoue puis coule presque immédiatement. L'équipage au complet ainsi que la femme du capitaine et son fils âgé de 5 ans, soit 32 personnes sont embarquées dans la baleinière et le youyou. Faute de temps, les papiers du bord ne peuvent être sauvés; seuls de rares vivres sont embarquées mais sans eau douce. Le lendemain à 11 heures le ketch la Perle de Nouméa recueille les naufragés aux abords de la passe de la Havannah, situé dans le sud de la Nouvelle-Calédonie. D'après les journaux de l'époque, on peut penser que le navire était encore visible quelque temps après le naufrage, puis qu'il  disparut définitivement quelques semaines plus tard. Des vestiges furent trouvés sur la côte de  l'île de Maré et sur l'îlot Mato où un pêcheur trouva un coffre de marin contenant quelques habits et une montre. La version du naufrage donnée par le capitaine en l'absence du journal de bord, fut celle un peu confuse d'une route contre un faible alizé d'est-sud-est qui devait faire passer l’Émile Renouf à  huit nautiques dans l'ouest du récif Durand. Il affirma que son navire avait heurté un écueil non porté sur les cartes; le bruit courut  localement que le récif Durand  était mal positionné.

A Nouméa la commission locale d'enquête resta sceptique sur les dires du capitaine. L'affaire traîna. L'équipage interrogé, demeura discret. Il était prudent pour les marins de l'époque, de ne pas accabler leur capitaine car trouver un autre embarquement se serait avéré difficile  par la suite. Quatre mois plus tard, le 8 juin 1900, le capitaine Boju est tenu de s'expliquer devant le Commissaire de l'Inscription Maritime du Havre. Ce dernier met en doute l'existence d'un écueil non cartographié et affirme que s'il s'agit bien du récif Durand : le capitaine du quatre-mâts barque est fautif.

L'affaire est grave : elle est portée devant la commission supérieure des naufrages qui se réunit à Paris le 26 juillet 1900 et qui décide de traduire devant un tribunal maritime commercial le capitaine de première classe de la Marine Marchande Boju Joseph. Sur ordre du ministre de la Marine du 14 août 1900, les membres du tribunal Maritime commercial sont désignés. Ils se réunissent pour le jugement le 8 septembre 1900 à l'hôtel de la Marine de Nantes.

Entre-temps, à la demande du Ministère de la Marine, un aviso transport de la Royale, l'Eure basé à Nouméa et commandé par le capitaine de frégate Thibaut fait une reconnaissance du récif Durand et de ses abords pour établir si un récif non hydrographié existe ou non. La conclusion du rapport daté à Nouméa du 27 avril 1900 est accablante: le récif est parfaitement positionné sur les cartes et aucun autre récif n'existe dans ses environs. Sans doute par oubli, son rapport transmis à Paris n'est pas signé. Il sera donc sans effet et devra être retourné sur Nouméa pour signature. En 1900 les échanges de courrier entre la métropole et la Nouvelle-Calédonie prennent des mois. Il en résulte que le document dûment signé du commandant Thibaut ne parvient à Nantes qu'après le procès.

D'autre part, un député, par lettre du 30 juin 1900, et un sénateur par lettre du 12 juillet de la même année, demandent au Ministre de la marine de "régler au plus vite" l'affaire du capitaine Boju dont ils font l'éloge. Ces appuis et l'absence du rapport du capitaine Thibaut incitent les membres du tribunal à la clémence d'autant qu'ils sont également ses collègues. Le capitaine Boju sera acquitté au bénéfice du doute. L'affaire est réglée, il garde donc son brevet de commandement. Moins d'un an plus tard, en janvier 1901, le 3 mâts barque Versailles lui sera confié pour prendre un chargement de Nickel à Thio.

La découverte

Aucun doute n'est possible, l’Émile Renouf repose quelque part sur le récif Durand. Le retrouver semble une simple formalité, il suffit d'y aller. En 1981, quatre plongeurs de Nouméa s'y rendent à bord d'un voilier américain, l'Emma Peel. Ils y arrivent en fin de journée et ont le temps de prospecter une petite partie du récif, comptant sur le lendemain pour une recherche plus complète. Hélas, l'alizé se lève dans la nuit, Emma Peel doit quitter le mouillage, la position est intenable et son ancre dérape. Le bateau dérive jusqu'au petit matin. Le lendemain toute nouvelle recherche devient impossible, la météo s’aggravant. L’Émile Renouf est à nouveau en sommeil.

En janvier 1989, nouvelle tentative de l'association avec l'équipage du navire hydrographique La Boussole, commandé par le lieutenant de vaisseaux James. Nous ne disposons que de huit heures pour les recherches. La météo est favorable et nous permet d'approcher les lieux du naufrage. Malheureusement, le magnétomètre donne des informations totalement incohérentes. Jusqu'à la dernière minute deux plongeurs tractés par un canot sillonnent vainement une portion du récif.

En mars 1989, troisième tentative, avec le patrouilleur de la marine, La Moqueuse, accompagné de la pilotine La Gazelle. L'état de la mer empêche durant plusieurs jours toute tentative d'approche du site. En fin de mission, malgré les fortes vagues, les membres de l'association tentent une mise à l'eau d'une embarcation. Résultat de la manipulation: notre pneumatique se retourne et nous perdons pour 20 000FF de matériel. L'équipe de télévision qui nous accompagne baptise le lieu "la marmite du diable".

En septembre 1991, La Gazelle appareille une nouvelle fois de Nouméa avec à son bord l'équipe de plongeurs de Fortunes de Mer et le magnétomètre. Après une nuit complète de navigation, le récif Durand est repéré. La première hydrographie du secteur est effectuée à l'aide d'un GPS et d'un sondeur, en suivant la ligne de sonde des 10mètres. Un périmètre de recherche est matérialisé par des bouées reliées à des corps-morts. Le magnétomètre est installé à bord d'un Zodiac Mark V. Moins d'une heure plus tard, une anomalie s'imprime fortement. Deux plongeurs se mettent à l'eau pour vérifier l’information.

A 10 mètres, dans une eau limpide, une gigantesque masse métallique  s'étend à perte de vue. Cinq ancres sont là près d'un guindeau monumental. Des entrelacs de barres de ferrailles se dressent ça et là près d'un cabestan. De nombreux hublots sont vrillés, ce qui donne une idée de la violence des déferlantes. A l'échelle d'un plongeur, le gouvernail paraît énorme. Sur la partie tribord de l'épave se retrouvent coincés dans une faille, trois immenses cylindres en métal : c'est ce qui reste de la mâture.

Plusieurs reliques sont remontées: des hublots, un chandelier, une vanne à trois voies, un lest de compas. Dans une section de mât de beaupré est dégagé avec grande difficulté un superbe réa en bronze. Sous  les plaques métalliques une partie du chargement de minerai de nickel est agglomérée et compactée comme du grès.

Dès le retour à Nouméa l'équipe ne résiste pas à la tentation de téléphoner au Havre « Allô M. Max Corblet? Nous venons de retrouver le voilier de votre grand-père! » Séquence émotion entre l'équipe de Fortunes de Mer et l'un des petits-fils d’Édouard, maillon de cette mythique épopée de la "route du nickel".

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En mai 2006 une équipe de Fortunes de Mer Calédoniennes découvre, passe de Kouakoué sur la côte est, l’une des plus belles épaves en forme de la Nouvelle Calédonie, le Ville de Saint-Nazaire.

Construit à Saint-Nazaire aux chantiers de la Loire pour la Société des Voiliers Nazairiens, ce trois-mâts carré eut une existence brève. Lancé en 1901, il fit un premier voyage sur Portland (Oregon) et le 6 mai 1903 il aborda le trois-mâts Desaix en rade d’Astoria, faisant des avaries importantes. Affrété ensuite pour  transporter du minerai de nickel, parti de Canala la veille il louvoyait le 29 mai 1904 entre les Iles Loyauté et la grande terre  lorsqu’il heurta le grand récif barrière  au nord de la passe de Kouakoué.

Le naufrage

Le Ville de Saint-Nazaire heurta un récif isolé au nord de la passe de Kouakoué à quatre heures du soir alors que la mer était belle. L’horizon masqué par des grains ne permettait pas de faire le point. A cet endroit le récif ne déferle pas et se situe à environ 7 miles nautiques de la grande terre. Après avoir talonné sur un plateau corallien les rivets sautèrent en grand nombre et le navire se trouva pris par le milieu, à cheval sur le récif.

L’arrière s’enfonça jusqu'à ce que la poupe trouve un point d’appui au pied du tombant sur un fond de 40 mètres. L’étrave sortit entièrement hors de l’eau jusqu'à mettre le bout-dehors à 15° de la verticale. La totalité de l’équipage composé de 26 hommes,  réussit à regagner la terre à bord des chaloupes, le capitaine  n’emportant que les papiers du bord. Les articles de presse de l’époque, « la France australe » et le « Moniteur impérial » relatent le naufrage. Un remorqueur de la Société Le Nickel, le Tayo, tente en vain de déséchouer le navire.

L’épave et la cargaison seront vendues aux enchères publiques. Ainsi la cloche sera récupérée dès cette époque. Toute la partie avant du bateau est vidée mais le reste du navire est définitivement perdu. La proue reste apparente durant quelques années puis se disloque et glisse le long du tombant pour s’immobiliser sur des fonds de 30 mètres. Sur « la côte oubliée » le Ville de Saint-Nazaire a complètement disparu.

La découverte

L’association Fortunes de Mer Calédoniennes organise avec le concours d’un P400 La Glorieuse de la marine nationale une première expédition en 1996, la zone est quadrillée mais sans succès. En mai 2006 une nouvelle et importante campagne de recherche permet à l’association de retrouver l’épave du Ville de Saint-Nazaire.

Le temps est exceptionnel  la mise en œuvre du nouveau magnétomètre à protons en est facilitée. A la pointe nord de la passe de Kouakoué, une forte anomalie se signale à l’écran. Les plongeurs de l’association vont découvrir une épave magnifique, la proue repose à l’envers et montre une ligne parfaite, la poupe inclinée sur bâbord est  bien conservée. Les mâts et les vergues sont enchevêtrés sur le fond. La hune est parfaitement identifiable. Le superbe moyeu de la double barre à roue est identique a celle de l’Haudaudine visible à Nouméa au Musée de l’Histoire Maritime de Nouvelle-Calédonie est toujours en place.

La campagne 2006 permettra de remonter une trentaine d’objets dont le cerclage de barre à roue marquée aux noms du bateau et du chantier de construction.

En novembre 2007, une importante campagne de fouille est organisée. Une quinzaine de plongeurs de l’association Fortunes de Mer Calédoniennes vont se relayer dans la zone des 40 mètres. A l’aide de suceuse hydraulique la partie arrière du navire appelée coqueron est fouillée méthodiquement. Le mobilier archéologique remonté est varié et fait état de la vie du bord, 80 pièces comme des couverts aux  armoiries du bateau, de la vaisselle, des bouteilles d’alcool des éléments de meubles, une suspension de luminaire ainsi que des instruments de navigation dont trois compas. Ces reliques seront traitées au laboratoire du Musée de l’Histoire Maritime de Nouvelle- Calédonie.

La situation géographique de l’épave rend les campagnes de fouilles difficiles à organiser, mais le Ville de Saint-Nazaire mérite de nouvelles visites, pour l’enrichissement des collections du Musée de l’Histoire Maritime de Nouvelle-Calédonie, pour la beauté des plongées et l’émotion qu’il procure.

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