Le Lakatoï était un caboteur de 340 tonnes, construit en 1938 pour la compagnie Australienne Burns, Philp and Co. Après une brève exploitation commerciale essentiellement aux Iles Salomon et en Papouasie, il est lancé dans la tourmente de Guadalcanal par la Marine des Etats Unis en août 1942 et sombra rapidement dès sa première mission, par mer forte. Sur les 29 naufragés, 28 réussirent à regagner la côte Nord Est de la Nouvelle-Calédonie au bout de 12 jours d’épreuves. Ce fait, à porter à la gloire de son équipage, est très peu connu. Par exemple pour beaucoup de Calédoniens, l’épave du Lakatoï repose sur le récif Toombo, non loin du Phare Amédée, ce qui est erroné: Le naufrage du véritable Lakatoï at eu lieu à près de 350 km du Nord de la Nouvelle Calédonie. En fait il s’agit en fait de l’épave du patrouilleur auxiliaire YP-422, l’ex chalutier Mist, échoué en mai 1943 sur le récif Toombo.

Rappel du contexte historique

Un court rappel du contexte historique de cette période charnière de la guerre du Pacifique permet de mieux comprendre la tragédie qui a frappé le Lakatoï. Après leur attaque surprise de Pearl Harbour le 7 décembre 1941, les Japonais ont déferlé sur les iles du Pacifique occidental à partir des îles Carolines, Marshall et Mariannes. Les objectifs de la ruée Japonaise dans le Pacifique Sud était d’emménager un périmètre défensif contre les Alliés, de s’emparer des matières premières indispensables à la conduite d’une guerre éclair, dont le Japon ne disposait pas, en particulier le pétrole des Indes Néerlandaises. Il voulait supprimer les menaces que faisaient peser l’Australie et la Nouvelle-Zélande en poursuivant leur progression sur les Nouvelles-Hébrides, l’actuel Vanuatu, les Fidji, Tonga et bien sûr la Nouvelle-Calédonie, coupant ainsi leurs dessertes maritimes et aériennes vitales depuis les Etats-Unis via Hawaï, à travers l’immense océan Pacifique.

Dès mai 1942, les Japonais s’étaient installés dans de nombreuses îles de l’archipel des Salomon, administré par les Australiens et construisaient un aérodrome au Nord de l’île de Guadalcanal et le 6 août sa piste était quasiment terminée. Pour le Haut Commandement Allié la reprise aux Japonais de Guadalcanal et de son aérodrome était d’importance stratégique : Le 7 août 1942, débuta la première opération amphibie Américaine, avec le débarquement de près de 11000 hommes de l’infanterie de Marine Américaine, les Marines, transportés par une forte flotte de guerre. Dès le lendemain la riposte Japonaise a été vigoureuse et un gros transport de combat, le George F. Elliott, a été attaqué par un bimoteur torpilleur de la Marine Impériale qui, touché, s’écrasa sur le navire qu’il incendia et coula. Une grande partie des 29 hommes de l’équipage Lakatoï, provient de ces rescapés.

En fait, dans la nuit du 8 au 9 août, une des plus grandes défaites de la Marine des Etats Unis a lieu à la bataille de Savo : En un peu plus d’une demi-heure les Américains perdent trois croiseurs lourds, et les Australiens un quatrième. Le bilan humain est aussi désastreux, environ 1000 morts et plus de 700 blessés. Devant la vigueur de cette attaque et craignant pour le reste de la flotte Alliée, l’ordre est donné à tous  les navires de guerre et aux transports d’évacuer sans tarder Guadalcanal et de se retirer sur Nouméa, la base arrière. La division de Marines retranchée autour de l’aéroport de Guadalcanal se sent d’autant plus abandonnée qu’ils ne leur reste que des munitions pour quatre jours de combats intenses et des vivres pour un peu plus d’un mois.

La courte épopée du Lakatoï

Devant ce problème de logistique, le Commandement des Forces Américaines engage ce qui pouvait flotter pour leur amener du ravitaillement, les petits bateaux s’avérant moins précieux que les lourds cargos plus utiles au transport de troupes et de matériels de combat. Le Lakatoï était présent à Nouméa depuis mai, acquis à Sydney par l’armée américaine. Il avait été mis à l’eau en 1938 à Hong- Kong pour la compagnie Australienne Burns, Philp and Co Ltd., pour du cabotage entre la Mélanésie et un peu le Sud-Est Asiatique. Cédé par l’Armée, la Marine l’a commissionné le 15 août 1942. Après quelques travaux d’adaptation à son utilisation militaire, dont l’équipement de deux radeaux de sauvetage en caoutchouc supplémentaires, le capitaine de corvette James I. McPherson, en a pris le commandement ; il était auparavant sur le navire de transport USS George F. Elliott et il a tenu à choisir l’équipage du Lakatoï parmi les survivants de ce transport, coulé une semaine auparavant au large de Guadalcanal. Après le chargement de 150 tonnes de nourriture, complété par l’embarquement de munitions, le Lakatoï quitte le 18 août 1942 le port de Nouméa pour Guadalcanal et Tulagi, à une vitesse moyenne de 9 nœuds, seul et sans escorte et la cargaison bien arrimée.

Le naufrage du Lakatoï

Les conditions atmosphériques s’aggravant rapidement, il rencontre une mer très agitée avec une forte houle. Le 22 août à midi la mer emporte l'embarcation de sauvetage bâbord et à 13h05, un grand fracas annonce l’imminence d’une catastrophe : Le Lakatoï a immédiatement pris une gite de 40º à bâbord et a continué de rouler sur ce bord. Ayant stoppé les moteurs, McPherson ordonna l’abandon du navire. En moins de deux minutes, le Lakatoï chavire et coule à la position 19 °00' Sud et 167 °40' Est, à environ 350 km à l’Est Nord Est de la pointe Nord de la Nouvelle-Calédonie. L'embarcation de sauvetage tribord, dont les amarres avaient été volontairement coupées alors que le navire commençait à couler, flotte librement et l’ensemble des 29 hommes trouvent refuge, soit sur ce canot de 6 m, soit sur les deux radeaux gonflables, les trois embarcations étant reliées ensemble.

Le début de leur naufrage a été très éprouvant en raison d’une mer prenant l’allure de montagnes. Les hommes du Lakatoï s’alimentent grâce aux rations ainsi qu’à l’eau potable embarquées. Un des radeaux en caoutchouc se retourne, mais est redressé sans encombre. Malgré la présence de beaucoup de requins et de poissons, aucun n’a pu être attrapé. Le 24 août, deux bombardiers ont été vus au loin. Les naufragés ont bien essayé de distiller de l'eau de mer pour combler leur soif croissante en utilisant le condenseur du lot de bord sur le canot, mais cet équipement ayant pris feu a presque détruit la voile qu’ils utilisaient dorénavant, le vent ayant faibli, aidés de leurs rames pour maintenir une route au SO.

Le 28 août, ils ont entendu le grondement des moteurs d’un avion mais en dépit de leurs efforts pour être vus, il disparut sans repérer les naufragés. Malheureusement l’opérateur radio meurt d'épuisement le 31 août et est immergé en mer. Deux heures après cette triste cérémonie, ils aperçoivent une terre droit devant, un événement chaudement salué.

Le salut

Ils atterrissent en fin de compte à Amos, sur la côte Nord-Est de la Nouvelle-Calédonie, le 2 septembre à 10h30, alors qu’il ne leur restait presque plus de vivres et que leurs embarcations étaient très fatiguées. Le Commandant a chargé des rescapés encore valides d'essayer de trouver des noix de coco ou de l’eau. Finalement ils ont obtenu le secours d’un Calédonien, M. Léon Dubois accompagné d’autres personnes. Son fils et un marin se dirigèrent à cheval vers le poste de patrouille côtière situé à une cinquantaine de kilomètres. Ils ont tous été amenés en Jeep à l'hôpital de campagne de Koumac où ils ont été traités comme des rois, puis ils ont été transférés à l'hôpital de l'Armée à Nouméa où ils ont encore été fêtés et remis sur pieds avant de pouvoir regagner pour la plupart les Etats-Unis par bateau.

La reconnaissance de la Nation

Le Commandant James I. McPherson et cinq autres marins valeureux ont reçu la médaille de la Marine et du corps des Marines pour leur courage pendant cette épreuve de 12 jours, lors d’une cérémonie le 23 octobre 1942 où le Vice-amiral William F. Halsey, Jr salua l’équipage du Lakatoï comme ayant « …affiché un courage et un héroïsme en accord avec les meilleures traditions du Service Naval des Etats-Unis. »

L’épave de Toombo ou la confusion entre deux navires proches

En fait, longtemps l’épave échouée sur le récif Toombo, a été appelée le Lakatoï. Il s’agit en fait d’une autre épave Américaine, celle du Mist, un chalutier hauturier en acier de la même classe que le Lakatoï construit aux Etats-Unis en 1941 et qui a été commissionné le 28 juillet 1942 par La Marine Américaine comme patrouilleur auxiliaire, l’YP-422. Son premier Commandant a été le controversé fondateur de la secte de Scientologie, Lafayette Ron Hubbard, rapidement évincé car jugé inapte au commandement.  Arrivé en Nouvelle-Calédonie début 1943, il s’échoua le 23 avril 1943 et n’a pu être retiré de son cercueil de corail malgré des efforts importants ; ce qui montre combien la Marine Américaine plaçait d’espoirs dans ces précieux auxiliaires souvent venus de la pêche, tous venant du civil souvent avec leur équipage, tels certains utilisés en Nouvelle-Calédonie, comme, le Lakatoï, l’YP-422, l’YP-239 ou encore l’Evaleeta.

Jean-Paul Mugnier