Le 15 janvier 1883, Le Cher, navire à voiles et à vapeur de la Marine Nationale commandé par le lieutenant de vaisseau Laffont, est affecté en Nouvelle-Calédonie pour y effectuer un travail hydrographique et le transport de troupe. En janvier 1885, il doit convoyer 250 condamnés de la transportation, de Balade à l’Ile Nou. Il n’arrivera jamais à destination.

Le naufrage

Jeudi 9 janvier 1885 à 9 heures Le Cher, transport de guerre de 63 mètres pour 1673 tonneaux sort du lagon par la passe de Uitoé. Cap sur l’extrême nord de la Grande Terre. Vers 19 heures, toutes voiles dehors, il longe par l’ouest, l’extérieur du grand récif Contrariété. Il doit passer à 2 milles au large de la pointe dangereuse du cap Goulvain. Ce jour- là, à cet endroit, des courants d’une extrême violence entraînent inexorablement le navire contre la barrière corallienne. Le Commandant tente de lofer puis ordonne d’abattre la voilure. Trop tard, le navire talonne et s’immobilise.

L’équipage cargue les voiles et met à l’eau une première embarcation de sauvetage. Une énorme vague déferlante la retourne avec les sept hommes à bord. Ils prennent pied sur le platier du récif. Ils sont récupérés plus tard par une chaloupe et réussissent à regagner le bord pendant la nuit. Sur le navire le trouble est grand. Le roulis est effroyable. Le grand mât tombe sur tribord. Les marins coupent les haubans qui retiennent le mât de misaine, celui-ci s’abat sur bâbord avec un fracas épouvantable. Le Cher commence à couler en s’inclinant sur bâbord. En l’absence de mâts, l’équipage manque de points de levage. Les marins sabordent le côté bâbord pour faire glisser une autre chaloupe qui permet de transporter des vivres, de l’eau et une partie des rescapés sur l’îlot Contrariété, situé à l’intérieur du lagon à deux milles de l’épave.

Vers quatre heures du matin, pour alerter les secours pouvant venir du littoral, le commandant fait tirer des coups de canon. Ils seront entendus par le colon Newland. Après une nuit d’angoisse le débarquement des hommes commence enfin sur l’îlot Contrariété. A neuf heures le pilote major Fabre quitte à son tour le navire à bord d’un youyou. A treize heures il donne une dépêche du commandant aux autorités stationnées à Poya. La nouvelle du désastre parvient à Nouméa seulement le lundi matin à dix heures. Dans la nuit de dimanche à lundi le bâtiment se brise en deux sous les coups de boutoir de la houle. C’est vers neuf heures du matin que les 115 membres de l’équipage, torturés par la soif et la faim aperçoivent enfin à l’horizon Le Bruat et Le Loyalty venus pour les sauver. Le mardi, les deux bâtiments reviennent vers la capitale avec tous les naufragés à leur bord. Ce n’est que mercredi 14 janvier vers 14 heures que les deux navires entrent enfin en rade de Nouméa.

Le 12 avril Le Commandant et tous ses officiers passent en Conseil de Guerre à Toulon. Le lieutenant de vaisseau Laffont est acquitté à l’unanimité et félicité pour sa conduite exemplaire pendant le drame, cette reconnaissance entraînant automatiquement l’acquittement de l’ensemble de l’équipage. La maquette du Cher est exposée en permanence au Musée National de la Marine à Paris.

Sauvetage d'un patrimoine maritime

Quelques années après son naufrage, l’épave du Cher se trouvait matérialisée par une énorme chaudière, visible à l’intérieur du récif, à une centaine de mètres du point d’impact et par trois ancres monumentales posées à plat sur le platier. Elles sont encore aujourd’hui facilement accessibles à marée basse.

En 1967, l’équipage du patrouilleur La Lorientaise participa à une courte mission d’investigation sur Le Cher. Une pièce d’artillerie en fonte d’une tonne fut remontée par les plongeurs.

En 1985, les membres de l’association Fortunes de Mer Calédoniennes, à partir de la station de Beaupré, visitent l’épave et remontent quelques reliques. Une découverte surprenante : le plomb de poitrine d’un équipement de scaphandrier à l’ancienne laisse penser qu’une tentative de récupération aurait pu être organisée après le sinistre par une équipe de « pieds lourds ».

En février 2007, FMC organise une seconde expédition de deux semaines. La famille Metzdorf met aimablement à la disposition de l’association la logistique de leur campement situé au bord de mer. Trois petits bateaux permettent de rejoindre le site du Cher en empruntant la passe de Poya, puis en longeant l’extérieur du grand récif Contrariété en moins d’une heure de navigation. La météo matinale nous permet de plonger chaque jour, sans trop redouter la houle du large.

Nous avons placé une grosse bouée au bout d’une chaîne manillée sur une gigantesque pièce métallique cubique reposant à 15 mètres de profondeur. Nous pouvons y fixer une embarcation à l’abri de la ligne redoutable des vagues déferlantes. Dès l’immersion dans une eau cristalline, nous repérons deux failles bien distinctes, perpendiculaires au récif barrière. Depuis le naufrage, elles ont collecté l’ensemble du mobilier archéologique, poussé par les fréquentes tempêtes de l’été austral. Dans l’une nous trouvons un des six canons en fonte de 14, un corps de pompe en bronze, de nombreuses vannes et quelques tuyaux. Dans l’autre gît le safran monumental constitué par un cadre en bronze caractéristique, partiellement bétonné par le substrat corallien. Ses aiguillots bien visibles lui permettaient un mouvement directionnel commandé par la barre, agissant sur l’appareil à gouverner.

Cette pièce exceptionnelle d’architecture navale du 19ème siècle mériterait que nous la remontions pour la restaurer puis l’exposer dans le Musée de l’histoire Maritime à Nouméa. En s’approchant au début du tombant, nous identifions un cabestan et l’appareil à gouverner complètement phagocytés par les coraux encroûtants. Dans les déferlantes, un canon et une ancre gisent immobilisés depuis des lustres. Nous cartographions et photographions l’ensemble du gisement. Nous remonterons, pour stockage au musée, quelques pièces en bronze : une vanne et deux fémelots. Affaire à suivre pour une future opération technique et lourde : la remontée du safran du Cher.