L'an 1905 fut particulièrement néfaste aux navires. L'HAUDAUDINE, le ROANOKE, le SUS-QUEHANNA et l'ALMEDIA, tous grands voiliers, sombrèrent cette année-là dans nos eaux. Les Fortunes de Mer n'ont heureusement pas toujours une fin dramatique. Après son dénouement en mars 1905, l'histoire du FANNY et de son capitaine Mr B... fit sourire... Mais auparavant, elle avait valu bien des angoisses et des inquiétudes aux membres de l'équipage et de leurs famille, ainsi qu'à l'armateur, la Maison BALLANDE.

Le FANNY était un joli petit trois-mâts goélette en bois, d'une quarantaine de mètres de longueur pour environ huit de largeur. Construit à NANTES en 1887, d'une jauge brute de 399 TX, il pouvait transporter 4 à 500 tonnes de marchandises. Il fit, durant une douzaine d'années, le voyage des ANTILLES, puis la Maison BALLANDE de BORDEAUX l'acheta et l'envoya en NOUVELLE CALEDONIE en 1904.

L'histoire qui nous intéresse commence le 30 décembre de cette année-là, au départ de SYDNEY. Le capitaine B..., qui doit ramener le voilier à NOUMEA, a sous ses ordres un équipage de dix hommes. On le dit prudent, il connaît bien le cabotage, c'est un habitué des côtes calédoniennes et des NOUVELLES HEBRIDES, où il a cependant perdu un navire, la goélette DAUPHIN, le 12 septembre 1889. Toujours est-il qu'il est au commandement d'un navire, armé cette fois pour un voyage au long cours, ce qui n'est sans doute pas sa spécialité. Il quitte la rade de SYDNEY et franchit les HEADS dans l'après-midi. A la tombée de la nuit, au nord-est, on peut encore apercevoir ses voiles blanches à l'horizon. L'équipage ne soupçonne pas qu'il est en train de vivre le début d'une longue aventure...

1100 milles marins séparent SYDNEY de NOUMEA, la traversée courante comporte, à l'époque, deux pièges: le récif de MIDDLETON et le récif ELIZABETH sur lequels un bâtiment de guerre français, le THETIS, a installé, en avril 1871, des moyens de survie en prévision d'éventuels naufrages. Le voyage à la voile dure en moyenne 8 à 10 jours, 15 maximum.

Si au bout d'un mois on est toujours sans nouvelles du navire, on peut envisager le pire. C'est ce qui arrive. A NOUMEA, c'est l'inquiétude. On interroge en vain les équiages des voiliers et vapeurs qui effectuent régulièrement la traversée. Aucune trace du trois-mâts. Les autorités australiennes sont prévenues, et entreprennent des recherches. La disparition corps et biens du petit vapeur calédonien le FIADO, six ans plus tôt, sur le même trajet et au cours d'un cyclône, a laissé des traces douloureuses dans les mémoires.

Début février, c'est la consternation: il faut se rendre à l'évidence, il y a peu d'espoir de retrouver des survivants. On charge le capitaine CHANIEL qui commande le vapeur ST LOUIS et qui doit se rendre à SYDNEY, d'inspecter avec soin les récifs mentionnés plus haut, et, à défaut de retrouver des survivants, de découvrir au moins l'épave... Le 17 février, le ST LOUIS quitte NOUMEA et le 20 à 10h40, il aperçoit le récif MlIDDLETON. A 11h30, il le longe à petite distance en actionnant la sirène, toutes les jumelles du bord scrutent la zone. On met à l'eau une baleinière armée par quatre matelots sous les ordres d'un lieutenant, pour visiter la petite baraque en bois construite sur un rocher à l'intention des naufragés. A 12h30 la baleinière revient: aucune trace de survivants. Le capitaine CHANIEL, conformément aux instructions reçues, fait alors route sur le récif ELlZABETH qu'il atteint à 16h30. Il fait examiner le canot de secours mouillé là par le THETIS avec vivres et couchages: rien, désespérément rien. Le ST LOUIS gagne alors SYDNEY, bredouille.

Début mars à NOUMEA, les larmes ont séché et l'espoir a cédé la place à la résignation: "ô, combien de marins, combien de capitaines, qui sont partis joyeux pour des courses lointaines..."

Mais le 12 mars 1905, au matin, le guetteur du sémaphore n'en croit pas ses yeux: il aperçoit dans sa lunette, arrivant du canal WOODIN, un trois-mâts goélette ressemblant étrangement au FANNY. La nouvelle se répand en ville comme une traînée de poudre. Très vite le vieux quai se noircit d'une foule qui se presse pour voir arriver dans la petite rade ce qui, de toute évidence, est le navire "disparu corps et biens"!

Il est 14h quand le voilier accoste. Tout le monde reconnaît les visages familiers des dix hommes d'équipage qui crient de joie, et dont les bras brûlés par le soleil agitent les casquettes en toile délavée. Sur la dunette arrière, la silhouette du capitaine B... semble singulièrement changée. A y regarder de plus près, ce ne peut être lui. La nouvelle se répand très vite: il s'agit d'un capitaine norvégien. Mais que diable fait-il là? Les gabelous repoussent les curieux et les autorités du port montent à bord, brûlant de connaitre la raison de ce sympathique mais combien étrange retour.Ce qu'ils apprennent alors par le capitaine JEANNESSEN d'origine norvégienne, les laisse bouche bée. Après avoir manqué la NOUVELLE CALEDONIE, le FANNY était passé au sud des NOUVELLES HEBRIDES, puis des FIDJI, avait traversé l'archipel des TONGA sans voir une seule île. Poursuivant inlassablement son voyage vers l'est, il avait fini par rencontrer les îles COOK, situées à plus de 2000 milles de la NOUVELLE CALEDONIE. A son arrivée, l'équipage avait déserté le bord et porté plainte contre son capitaine. C'est alors que les autorités anglaises de l'archipel avaient désigné le capitaine JEANNESSEN pour ramener à NOUMEA le FANNY, actuellement sous leurs pieds. Ils avaient quitté les îles COOK le 15 février.

L'histoire fit vite le tour de la ville de NOUMEA, et quand le vieux quai fut désert, un dernier homme quitta le FANNY, le capitaine B..., la tête basse, terrorisé à l'avance d'avoir à donner des explications dont personne n'eut jamais connaissance. Il lui restait cependant la consolation de n'avoir perdu aucun homme, et d'avoir, d'une certaine manière, ramené le navire à bon port!

Le FANNY fut vendu en août de la même année à la Société le NICKEL. Il finit ses jours comme ponton à THIO.

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Le 3 juillet 1846, la corvette La Seine fait naufrage dans la passe de Pouebo. 165 ans plus tard, séquence émotion au Musée de l’histoire maritime de Nouvelle-Calédonie à Nouméa pour trois des descendants de deux matelots naufragés. Ces derniers avaient préféré « poser définitivement leur sac à terre » à Sydney la veille de leur rapatriement pour la France.

Deux mois après le naufrage de la corvette La Seine, le baleinier anglais Arabian rapatrie le commandant François Leconte avec le dernier contingent de son équipage. Le 1er octobre, le navire arrive en rade de Port Jackson. Le 6 novembre 1846, tous les  naufragés sont transférés sur le trois-mâts anglais Berkshire affrété par le consul de France. Le jour du grand départ de Sydney pour Brest, deux marins manquent à l’appel : Etienne et Jean Prosper Fabard. Cette magnifique ville et son style de vie ont dû vraiment séduire les deux matelots pour qu’ils prennent le risque de déserter.

Que sont devenus les Fabard?

En 2006, les membres de Fortunes de mer calédonienne, sont informés de l’épilogue de cette singulière et fabuleuse aventure. Elizabeth Hook, une Australienne des Nouvelles-Galles-du-Sud, dont une aïeule avait épousé un des déserteurs, contacte le Musée de l’histoire maritime de Nouvelle-Calédonie pour obtenir plus d’informations sur le naufrage de La Seine. Une correspondance régulière s’engage. Elizabeth nous apprend qu’Étienne Fabard, épousa Margaret Core dans Saint Mary’s Catholic Church à Sydney le 6 août 1849, sous le nom de Stephen Fabar (Étienne en anglais). Il sera naturalisé sujet britannique en 1850. Père de 8 enfants, il mourut en 1899. L’autre matelot, Jean-Prosper Fabar épousa en 1853 Eliza Core, la sœur de Margaret sous le nom de John Prosper. Il sera naturalisé en 1875. Père de 7 enfants, il mourut à Orange (NSW) en 1908 âgé de 84 ans. Ainsi, les deux compères furent le premier maillon d’une chaîne de six générations de mineurs durant la ruée vers l’or, sur la mine de Sofala (NSW). Leur nom subit de nombreuses transformations d’orthographes selon les interprétations orales des officiers d’état-civil dues à l’accent français. Ainsi Fabard à l’origine évolua en Faubar, Fabare, Fabar et finalement Faber.

Les descendants des déserteurs à Nouméa

Le 17 septembre 2011, soit 165 ans plus tard, Brett, Mike et Kerrie Faber, descendants des déserteurs, passagers du navire de croisière Pacifique Pearl en escale à Nouméa, rencontrent les membres de Fortunes de Mer Calédoniennes. Le Musée est spécialement ouvert pour eux. Après avoir fait connaissance, les passionnés de FMC expliquent aux Faber comment la double barre à roue, pièce maîtresse de La Seine, fut reconstituée en 2009 par les élèves de terminale Bac Pro, technicien menuisier, du lycée professionnel Pétro Attiti. La visite se poursuit dans la zone portuaire de Nouville au laboratoire du Musée où se trouvent toutes les collections du Musée, en attente de la réouverture du musée, prévue en 2012. Véronique Proner, chargée du traitement des objets, donnera un maximum d’informations sur les nombreux artefacts remontés de cette fabuleuse épave et sur les techniques de traitement et de conservation.

Cette courte escale à Nouméa fut un réel moment d’émotion, partagée entre les descendants des deux marins et les membres de Fortunes de Mer et du Musée Maritime de Nouvelle Calédonie.

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En cet après-midi du 10 octobre 1873 les dix hommes d’équipage du TACITE, excités et soulagés,  se pressent sur le pont pour enfin apercevoir sur l’horizon devant l’étrave, le premier relief de la Nouvelle-Calédonie, leur destination finale. C’est sans doute le Mont Dore d’après le second capitaine. Ils sont partis de Bordeaux il y a 134 jours exactement et n’ont fait aucune escale. Il leur tarde de sentir les odeurs végétales et de fouler une terre, fut-elle de l’autre côté du globe. Leur navire est un trois-mâts barque en bois de 257 tonneaux de taille modeste,  mais robuste et fiable. Lancé en 1869 près de Nantes, il a déjà, en quatre ans gagné ses titres de noblesse.  Il a sillonné les trois océans de Rotterdam à Sydney, des caraïbes à l'Asie et connu les quarantièmes rugissants de l'océan Indien dont les vents puissants soufflent  inlassablement vers l'est. C'est du reste par cette route que le voilier a rallié la Nouvelle-Calédonie. Dans ses cales s'entassent 400 tonnes de marchandises destinées à la jeune colonie en plein essor et qui manque de tout.

Le Capitaine compte rentrer dans le lagon demain matin par une des passes de Boulari. Une dernière nuit de quart s'organise. Au crépuscule la lumière du phare  Amédée est signalée sur l'avant bâbord, ce qui rassure et confirme la bonne position du navire. Chacun à bord est confiant et a hâte d'être au lendemain. Dans leurs coffres en bois cirés les marins rapporteront de cette escale exotique des  souvenirs qui feront rêver ceux qui sont restés au pays. C'est l’aura des gens de mer de l'époque qui sont les seuls humains à parcourir le globe.

Le Capitaine prend son quart jusqu'à minuit, dans la chambre de veille il relie les instructions nautiques et se remémore toutes les recommandations qu'il a obtenu de ses collègues, capitaines au long-cours comme lui, concernant la délicate navigation dans les eaux tropicales où pousse le corail. Il sait que les passes de Boulari sont situées sous le vent dominant. L'alizé de sud est, ainsi que la dérive portent en général à l'ouest. En effet, le même alizé pousse les vagues par-dessus le récif, le lagon se charge par l'est et par conséquent se décharge à l'ouest.

La voilure est réduite pour que le navire capeye à faible vitesse à l’ouest sud-ouest en restant en vue du phare en attendant l’aube. Le commandant prendra alors sa décision en fonction des courants observés. De toute façon il est décidé à attendre la venue du côtre du pilote qui le rejoindra en dehors des passes. Se croyant sans doute assez loin des dangers, il quitte la passerelle en fin de soirée sans donner d'ordre particulier au maître d'équipage de quart à la barre du navire qui, faute de vent et peu de voiles, gouverne à peine. Le compas indique un cap au sud sud-ouest. Le phare est relevé au nord-est.

Malheureusement le Capitaine n'a pas pris en compte dans ses réflexions un détail important. Depuis quelques jours, plus exactement depuis qu'il a quitté le détroit de Bass entre la pointe sud de l'Australie et le nord de la Tasmanie, c’est un puissant vent d'ouest qui gonfle les voiles du TACITE. C’est toujours avec ce même vent faiblissant qu'il est arrivé rapidement en vue des côtes calédoniennes. De ce fait, les courants ne sont plus les mêmes qu’avec l’alizé de sud-est habituel, voir même opposés....

Le second, qui possède lui aussi un brevet au long cours, prend son quart à minuit. La nuit est belle, une longue houle fait rouler lentement bord sur bord le navire dont le gréement grince à chaque balancement. Tout est calme. A présent, faute de vent le voilier ne gouverne plus. L'officier est inquiet, il a un doute sur la position du TACITE. Il hésite à descendre dans la chambre de veille où se trouve le Capitaine, pour lui en parler. Ce dernier ne l'a d’ailleurs pas consulté avant de quitter la passerelle. Cependant, une altercation serait mal venue si près de la destination et rappellerait de mauvais souvenirs. A une heure du matin il fait une ronde à l'avant du navire, les sens en éveil. Soudain il perçoit le grondement tant redouté des vagues qui brisent sur un écueil, en scrutant les ténèbres il ne tarde pas à apercevoir par l'avant bâbord une ligne blanche : le récif ! L'alerte est immédiatement donnée, le Capitaine se rue sur le pont et fait envoyer toute la toile afin de se dégager vers le large.

Le vent est très faible, cependant le navire prend un peu d'erre, mais pas suffisamment pour évoluer dans la direction souhaitée. Incontrôlable et livré à lui-même le TACITE change lentement de bord vent arrière. Les ancres sont parées à êtres mouillées, c’est le seul espoir de se sortir d’une telle situation. Faut-il encore que le fond soit accessible. Un matelot sonde en permanence sans le trouver. Au moment où le voilier finit par pivoter enfin, un deuxième récif apparaît mais cette fois ci sur tribord à moins de cent mètres. L'équipage consterné et impuissant regarde les brisants se rapprocher par le travers. Lorsque le matelot qui est à la sonde annonce 14 mètres, on lui crie de larguer l’ancre. Trop tard, au même instant l’arrière tribord du TACITE engagé dans les brisants talonne violemment. Ordre est donné de mettre seulement les deux petites embarcations à l’eau, le grand canot placé à l’envers sur le grand roufle ne pouvant l’être dans ces conditions. La houle qui brise inflige de terribles secousses qui ébranlent le navire. L’équipage craint de voir tomber le gréement sur lui. Le gouvernail se détache, puis le navire pivote à 180° sur son arrière prisonnier des madrépores et se range bâbord amure le long du tombant corallien en faisant eau et commence à couler par son avant qui pointe maintenant à l’est. A présent tout espoir  de sauver le voilier semble impossible, il faudrait un miracle…il n’y en aura pas, le sort en a décidé ainsi.

L’avant du TACITE est maintenant sous l’eau, l’équipage abandonne en hâte le bord sans pouvoir sauver les effets personnels entassés dans le poste avant. Dernier sur le pont, le Capitaine tente d’atteindre la chambre de veille pour sauver ses documents, ce sont  les cris de l’équipage qui l’en dissuade, le navire est sur le point de sombrer. A peine a-t-il le temps de sauter dans le canot le plus proche qui se dégage à grands coups d’aviron que le voilier se couche sur tribord, le grand mât se brise et le gréement restant manque de les atteindre.

Consterné, l’équipage observe les derniers remous et les bulles qui troublent la surface comme un message d’adieu de leur navire qu’ils aimaient tant, seule la flèche d’artimon dépasse à peine des flots. Résignés ils s’éloignent. Après avoir ramé seulement un quart d’heure ils s’aperçoivent qu’ils sont en fait déjà dans le lagon. Ils mettent alors le cap sur le phare Amédée distant de quatorze miles dans le nord ouest. Ils y débarquent vers neuf heure, c’est ensuite le bateau pilote l’ETOILE qui ramène tout l’équipage sain et sauf  à Nouméa où ils arrivent en cette fin d’après-midi du 11 octobre 1873.

Cent quarante ans après ce naufrage, quelles conclusions peut-on en tirer ?

A la lumière des différents rapports d’époque ajoutés aux connaissances géographiques, hydrographiques et météorologiques récentes, le Capitaine Moyon a été victime d’un courant inhabituel qui a entrainé son navire en travers dans la passe de Mato. Il est fort probable que s’il n’avait pas tenté de se dégager en portant toute sa toile, le TACITE aurait, sans le vouloir, pénétré dans le lagon sans dommage. Il aurait pu y mouiller en attendant le jour, et même en supposant qu’un récif intérieur l’ait accroché, étant à l’abri de la houle cela n’aurait pas eu de grave conséquence.

La seule erreur commise par le Capitaine est de n’avoir pas donné la consigne  de surveillé le relèvement du phare Amédée, car à partir du moment où ce dernier apparaissait au nord, il fallait immédiatement tenter de faire de l’ouest. Le vent tombant complètement, la mise à l’eau du grand canot et l’énergie des rameurs auraient pu faire la différence. Il n’en fut pas ainsi. Un blâme lui fut infligé par la commission d’enquête, mais il ne perdit pas son brevet de commandement.

Raymond Proner